26 janvier 2008
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14:49
Les devoirs de l'AMITIE par Michel Onfray ...( Emission écoutée ce matin sur une radio périphérique
Je me sens bien seul dans mon époque à vouloir vivre l'amitié comme les romains la pratiquaient. Notre époque sans boussole confond la plupart du temps cette vertu sublime avec les pâles ersatz de la camaraderie ou les succédanés du copinage, ces produits de substitution à destination d'âmes en peine incapables de vivre dans la seule compagnie d'elles-mêmes. L'amitié romaine s'épanouit bien loin des fadeurs affectives de la compagnie agréable.
Entre Pythagore et Sénèque, tout a été dit, écrit et pensé sur l'amitié : Est-elle possible entre gens de conditions inégales ? Entre un homme et une femme ? Entre membres d'une même famille ? Peut-on mettre le mot au pluriel ? Existe-t-il un tien et un mien séparés et distincts dans cette aventure ? Ou tout est il commun ? Et si oui, l'argent aussi, l'époux ou l'épouse, les biens meubles et immeubles ? L'intérêt agit-il en moteur ? Dans ce cas, doit-on déconsidérer ladite vertu ? De quelle manière vieillit-elle ? L'ami est il un autre moi-même ? Comment conserver ses amis ? Que se passe- t-il à la mort d'un ami ? Et passim...
Le christianisme a déconsidéré l'amitié, vertu trop aristocratique et exagérément élective, pas assez amour du prochain à la sauce guimauve. Hors Montaigne et la Boétie, deux romains échappés et survivants au XVIème siècle, on n'écrit plus l'amitié avec la langue de Cicéron. On chercherait en vain dans les bibliothèques contemporaines des pages significatives à ajouter à ce beau livre ancien.
Normal, l'époque n'est pas à la vertu, encore moins à la vertu exigeante. Car l'amitié ne brille pas des feux platoniciens en idole majuscule, scintillant dans le ciel des idées, loin des contingences mondaines. Elle nomme ce qui se cristallise en présence de preuves d'amitié – délicatesse, tendresse, prévenance, souci de l'autre, bienveillance, douceur. Elle vit de ce qu'on lui donne. Sans nourriture, elle disparaît. La preuve de l'amitié ce sont les preuves d'amitié.
Dès lors, si elles manquent, si, même, en lieu et place, on reçoit l'inverse – indélicatesse, brutalité, froideur, négligence, inattention, sans parler de malveillance ou de méchanceté, autant de preuves d'inimitié,- on peut conclure sans tergiverser : il n'y a pas ou plus d'amitié. Ce qui, de fait, marque la mort de cette vertu vivante peu, pas ou mal entretenue. Car seuls les devoirs d'amitiés – qui sont doux – ouvrent le droit à l'amitié- qui est exigeante.
Michel Onfray
Je me sens bien seul dans mon époque à vouloir vivre l'amitié comme les romains la pratiquaient. Notre époque sans boussole confond la plupart du temps cette vertu sublime avec les pâles ersatz de la camaraderie ou les succédanés du copinage, ces produits de substitution à destination d'âmes en peine incapables de vivre dans la seule compagnie d'elles-mêmes. L'amitié romaine s'épanouit bien loin des fadeurs affectives de la compagnie agréable.
Entre Pythagore et Sénèque, tout a été dit, écrit et pensé sur l'amitié : Est-elle possible entre gens de conditions inégales ? Entre un homme et une femme ? Entre membres d'une même famille ? Peut-on mettre le mot au pluriel ? Existe-t-il un tien et un mien séparés et distincts dans cette aventure ? Ou tout est il commun ? Et si oui, l'argent aussi, l'époux ou l'épouse, les biens meubles et immeubles ? L'intérêt agit-il en moteur ? Dans ce cas, doit-on déconsidérer ladite vertu ? De quelle manière vieillit-elle ? L'ami est il un autre moi-même ? Comment conserver ses amis ? Que se passe- t-il à la mort d'un ami ? Et passim...
Le christianisme a déconsidéré l'amitié, vertu trop aristocratique et exagérément élective, pas assez amour du prochain à la sauce guimauve. Hors Montaigne et la Boétie, deux romains échappés et survivants au XVIème siècle, on n'écrit plus l'amitié avec la langue de Cicéron. On chercherait en vain dans les bibliothèques contemporaines des pages significatives à ajouter à ce beau livre ancien.
Normal, l'époque n'est pas à la vertu, encore moins à la vertu exigeante. Car l'amitié ne brille pas des feux platoniciens en idole majuscule, scintillant dans le ciel des idées, loin des contingences mondaines. Elle nomme ce qui se cristallise en présence de preuves d'amitié – délicatesse, tendresse, prévenance, souci de l'autre, bienveillance, douceur. Elle vit de ce qu'on lui donne. Sans nourriture, elle disparaît. La preuve de l'amitié ce sont les preuves d'amitié.
Dès lors, si elles manquent, si, même, en lieu et place, on reçoit l'inverse – indélicatesse, brutalité, froideur, négligence, inattention, sans parler de malveillance ou de méchanceté, autant de preuves d'inimitié,- on peut conclure sans tergiverser : il n'y a pas ou plus d'amitié. Ce qui, de fait, marque la mort de cette vertu vivante peu, pas ou mal entretenue. Car seuls les devoirs d'amitiés – qui sont doux – ouvrent le droit à l'amitié- qui est exigeante.
Michel Onfray